Peintures

2023
Yanig dans le jardin, 100 x 80 cm, 2023
Week-end à Ploumanac'h , 120 x 90 cm, 2023
Tadig, 120 x 90 cm, 2023
Mano, 120 x 90 cm, 2023
Mael dans le jardin, 100 x 80 cm, 2023
Loik et le frère, 120 x 90 cm, 2023
Loik et ses amis, 120 x 90 cm, 2023
Loik, 120 x 90 cm, 2023
La colère, 120 x 90 cm, 2023
Jason, 120 x 90 cm, 2023
Gurvan, 100 x 80 cm, 2023
Dans le jardin, 100 x 80 cm, 2023
Elwen, 120 x 90 cm, 2023

Je me définis comme un artiste gay et queer. Je réfute l’utilisation des termes « orientation sexuelle » pour définir mon identité. Ma pratique picturale est tout autant un acte individuel – et très intime – qu’un geste militant communautaire et identitaire. Je suis pédé, aussi je sculpte et je peins des corps pédés. Ceux qu’adolescent je fantasmais ou rêvais d’être. Ceux qui m’ont manqué car ils n’existaient pas – ou seulement de façon cachée, taboue et dangereuse – dans ma construction personnelle. Ceux qui n’étaient pas visibles, doublement invisibilisés par l’interdit social hétéronormatif dominant et le danger de rendre visible ce désir, mon désir, notre désir… un désir. Aussi, j’utilise comme modèles les corps de mes amours, le corps masculin qui a inspiré de nombreux artistes homosexuels avant moi, le corps viril qui interroge, par la dense profondeur de ce qu’il représente – le corps comme un motif, un symbole ; ainsi que l’émotion provoquée par le travail d’autres artistes (photographes, peintres, sculpteurs, performers, danseurs… ).

Ma pratique est nourrie par une remise en question des rapports de domination et de pouvoir ; par notre besoin de dé·re·construction. Elle se vit comme l’expression d’une identité queer, dans une volonté de réparation des imaginaires traumatisés et de propositions positives.Ma pratique est inclusive, comme mon écriture, car il s’agit de visibiliser ces rapports. C’est ce à quoi ma pratique tend. Elle se construit par couches, par sédimentation, par confrontations et superposition. Elle est faite d’erreurs et de lâcher-prise. Tout existe et reste visible sur la toile car tout est important.

Mais toujours dans l’urgence. Car peindre, comme vivre, est une urgence. Le temps passe vite et le monde d’avant est déjà en feu. Entre aller vite et ralentir.

Même si, rapidement, l’image modèle choisie perd de l’importance, je sens que le rendu est encore trop appelé par une forme réaliste, figurative et reconnaissable – qu’il est difficile de s’abstraire de l’image gravée. « Même si tu sais qu’il te faut remplir la page blanche. Du fond de ton cœur prie pour être libéré de l’image », écrivait Derek Jarman avant de perdre la vue. Comment la peinture du corps peut-elle nous libérer de l’image ? Comment le corps masculin peut-il véhiculer une autre histoire que celle de la domination toxique et de la violence ?

Sans souhaiter que le corps ne soit plus qu’un prétexte à gestes, formes, couleurs, et que la peinture ne le surpasse pour révéler un paysage, un paysage dans lequel on se perdrait pour se trouver – la nature c’est avant tout le corps humain #jesuisvivant -, je questionne autant l’architecture de la surface que celle de l’anatomie. Le corps se charpente comme une multitude d’espaces singuliers : un paysage déconstruit et reconstruit où se confrontent les bleus et les roses. L’homosexualité en rose et bleue, en écho aux stéréotypes de genre, mais également à l’homosexualité « noire » (celle de Genet, de Pasolini, de Mapplethorpe) qui se confrontait à l’homosexualité « blanche » (facile, quotidienne, visible, diurne) telles que définies par Guy Hocquenghem en 1975 . En sortant de cette confrontation binaire, les couleurs s’offrent en camaïeu. La toile de coton brute accueille tout, et réserve des espaces de respiration. Le corps, à la fois figuré et oublié, appelle à une forme d’abstraction du sujet. Mais comment représenter un corps abstrait ? Qu’est-ce que serait l’abstraction des corps, sinon l’image du souvenir ?

De la même manière que l’identité queer propose une abolition du binaire pour accepter l’ensemble du spectre des identités individuelles, la richesse des couleurs, l’importance et la valorisation des diversités culturelles tendent à libérer de l’image·modèle vers l’abstraction. Il s’agit d’une pratique queer qui résulte d’une digestion personnelle des luttes collectives de la communauté LGBTQIA+.

Les stéréotypes de genre, l’image de la virilité et du masculin sont interrogés par le prisme du choix du sujet. Les corps musclés, presque atrophiés, excessifs, objetisés, vestiges du Butch Queen, s’inscrivent dans la culture gay et rendent visibles l’histoire parallèle de la communauté. Des Physical Pictorial aux premières images homo-érotiques – en costume pour contrer la censure – aux Villages People, à Tom de Finland ou même Williham Zitte ; des corps dévastés par le sida à ceux scultpés par la pratique de la musculation comme signe d’appartenance au groupe « sain » et rituel de deuil collectif ; des débuts de la commercialisation d’une imagerie et des fantasmes gay aux applications de rencontres… ce corps de Butch Queen a marqué les années 1990/2000, avant que l’appellation Butch ne soit reprise par les femmes lesbiennes viriles, et Queen, par la scène Ballroom et Drag comme des « légendes. » Ils jalonnent l’histoire d’une communauté, tout autant que celle de l’art et de la société. Ils se jouent des codes, tout en devenant, au fil du temps, la quête d’un idéal fantasmé, d’un autre corps que le sien : celui que l’on se fabrique. Et dans cette volonté de paraître et de se définir une nouvelle enveloppe, la possibilité de flouter les barrières mentales du genre s’exprime, les muscles du « père » devenant sein nourricier et ventre fécondable.

On ne naît pas corps, on le devient.

Samuel Perche, Août 2023