Sculptures

Ali

bois de palettes, 670 x 250 x 155 cm
2017, La Réunion


J’ai découvert le bois de palette et quelque chose m’a semblé évident : par le matériau de récupération, par ce bois pauvre mais patiné, calibré, mou, et l’idée que les corps arrondis par les muscles pouvaient tout aussi bien être représentés de manière anguleuse et raide, tout en cherchant à provoquer la même idée, le même désir sexuel, en tout cas intime. Ce bois est un bois pauvre, mais il a une histoire : il a voyagé.

Conçue pour la Galerie du TEAT ChamFleuri de Saint Denis, la sculpture « Ali » a également été exposée lors de l’exposition Correspondances organisée par La Friche, Service Artistique, en avril 2018, à La Port, puis sur le miroir d’eau du Musée Stella Matutina à Saint Leu.

Ali, Atelier, La Friche
Ali
Ali, Atelier, La Friche
Ali, TÉAT Champ Fleuri
Ali, tête, TÉAT Champ Fleuri

Sculpter l’indicible,

Aude-Emmanuelle Hoareau, philosophe (1978-2017)

Comment raconter une histoire tragique et complexe, en une seule figure ? Comment contenir dans la matière la puissance du désir et la trame d’une vie humaine ? Samuel Perche répond à ces défis par un travail de sculpture qui nous présente, de manière assez figurative, un homme étendu sur le dos, jambe pliée, inspiré d’une photographie d’un migrant mort en mer, réalisée par Aris Messinis.

Pour le philosophe Giorgio Agamben, les légendaires statues grecques qui rompent leurs entraves pour commencer à se mouvoir, brisent une « ligatio », un pouvoir paralysant qui est à l’œuvre dans toute image. Ils rendent à l’image la liberté du geste . Comme ici où l’image est celle d’un mouvement du corps tout entier, qui se cambre et s’offre à l’infini du ciel, entre l’extase et la mort prochaine, presque certaine ou déjà advenue. Nous avons affaire à un geste au sens large du terme, à l’intention d’un mouvement qui ne se laisse pas enfermer. L’homme en bois est trop grand pour être entièrement consumé par l’appétit créateur du sculpteur ou dévoré par l’œil du public. Par son échelle et son inspiration antique, il nous amène à regarder au-delà, vers les mythes grecs, en direction d’une destinée épique avec laquelle se confond celle des réfugiés d’aujourd’hui, qui prennent la mer pour accomplir leur destin et finissent souvent, en martyrs des flots.

L’homme de bois.

Le bois de palette n’a pas la noblesse du marbre des sculptures de La Renaissance. Ces sculptures manifestaient un ordre de l’idéal, une éternité des formes et des idées. A contrario, la palette nous rappelle à l’existence actuelle, à la vie dans son caractère éphémère et précaire, à l’idée aussi, que l’on se bat pour survivre en se réappropriant des matériaux déchus.

A travers les planches de bois, une matière intermédiaire se dessine. Structuré comme une ossature mais d’aspect lisse et doux comme une enveloppe de peau, le bois de la sculpture synthétise l’impossible alliance des os et de la chair. Les variations de teinte imitent les soubresauts de la vie. Une impression de rondeur se déprend de l’ensemble, pourtant constitué d’angles et de formes plates et rectangulaires. Capter dans une matière qui résiste et ne se modèle pas (le bois de palette) une symphonie, une possibilité de s’assembler en courbes et de tendre vers la sensualité, est un pari d’artiste. L’intelligence des formes et des courbes va alors se déployer ailleurs, dans les interstices, les points de contact de ces assemblages, là où les éléments convergent et se détachent pour entrer dans des dispositions nouvelles, là où le geste accouche du mouvement. L’artiste se place derrière ce qui se voit pour nous offrir l’impression de la vie. Ou plutôt son interprétation de l’existence. Il partage avec nous une intuition du mouvement, de l’existence intense et en extase, la conception d’un corps unifié dans une geste unique.

Faire corps

Construire le désir comme quelque chose d’épais, qui se diffuse au fur et à mesure et suppose tout un ensemble de gestes de la part de l’artiste, tel est le tour de force de cette œuvre. Le sculpteur réalise pour ce plusieurs actions : désosser, porter, placer, clouer, mettre en équilibre…dans une posture démiurgique. Il communique au bois la trace de ses efforts, tout en laissant le matériau vivre. Son corps s’engage tout entier dans l’ouvrage pour donner consistance à la sculpture. Et ses gestes se rejoignent dans la cohérence de l’ensemble. La rigidité du bois, les courbes et les torsions suggérées disent plusieurs choses en un seul mouvement et en une seule forme : l’histoire d’un homme, sa traversée de l’océan, le sort des migrants échoués sur la plage ou, par extension, la fin tragique de l’homme qui désire le monde et se ploie devant le ciel, comme pour implorer sa puissance. Voyons cette sculpture comme un souffle qui donne vie à des formes et des courbes. A travers ce souffle, le sculpteur fait corps avec son œuvre. L’homme de bois se nourrit de ses attentes et de ses désirs et ils conjuguent, ensemble, énergie psychique et force physique. Le drame est exorcisé dans une forme signifiante : le corps de l’homme, face au ciel, en position de jouissance et de désespoir, hommage à cet espoir d’une vie meilleure.

David, face
David, dos

David

bois de palette, 450 x 138 x 120 cm
2017, La Réunion

Pour développer ma recherche en sculpture avec le bois de palette et continuer la revisitation de la statuaire classique, une œuvre s’est imposée d’elle même : à la fois prouesse technique, pose d’un idéal et figure emblématique de la représentation de la beauté masculine, le David de Michel-Ange m’est apparu comme une évidence.

L'amour d'après d'aprè

L'amour d'après, d'après

bois de palette, 230 x 150 x 70 cm
2014, La Réunion

Cette pièce est inspirée de Psyché ranimée par les baisers d’Amour d’Antonio Canova.  La délicatesse de cette œuvre m’a donné envie de la réinterpréter : j’ai souhaité qu’il s’agisse de deux hommes.

Dans le travail du bois, de ce bois-ci, se met en jeu mon propre corps, douloureux chaque soir, au bord de l’épuisement. Les mains qui brûlent et se raidissent chaque matin. Mais l’attraction est plus forte et l’énergie fait une boucle : ce qu’il se passe sous mes mains me charge, me tient : je fabrique un corps.

L'amour d'après d'après