NO·MAN·MEN
« Les gays ne sont pas des hommes. »
Si à l’origine, Adam n’avait pas subi les diverses discriminations hétéronormatives et religieuses, il serait librement tombé amoureux de Bob, puis de Peter et de Alain. Il aurait vécu une première très belle histoire d’amour avec Jaime, puis se serait pacsé avec Asad. Il aurait divorcé, aurait passé quelques années avec Antoine et Lucas, puis avec Derrick. Il se serait ensuite marié avec Alejandro, avec qui il aurait eu deux enfants, l’un avec Eva, l’autre avec Marie, la femme de Eva. Il aurait eu des amants, des rencontres d’un soir, d’un moment. Il serait devenu un très bel homme qui aime la vie et les hommes.
En 1978, Monique Wittig clôt sa conférence sur La Pensée straight par ces mots : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Il en va de même du pédé. Qui plus est de l’artiste gay. A l’heure où les identités de genre interrogent profondément les fondements de la société, où les paroles des minorités se libèrent et se font entendre pour formuler des injustices qui n’ont plus raisons d’être, il est possible d’interroger l’homosexualité comme un genre. Être gay peut, dans le processus de récupération et de l’affirmation, ne plus être en rien réducteur. Au contraire. Le retournement de l’insulte, de l’injure et de la monstruosité ressentie est un geste de réappropriation d’une identité gay. Le système que les autres connaissent n’est pas le nôtre que la réalité a profondément traumatisé de manière collective et individuelle. Je ne fais pas partie des hommes, je ne suis pas hétérosexuel, je ne suis pas blanc. Je ne suis pas un homme.
L’identité gay se construit par la lutte. Et aujourd’hui, elle se relève enfin, portée par la jeunesse et les identités queer, trans et non-binaires, portée par des années de combats pour les droits ; et partout dans le monde. Partout dans le monde, la reconnaissance se fait des humiliations subies par toutes les minorités. La résilience agit.
Mon travail cherche aujourd’hui à poser des images constitutives d’une subjectivité gay comme un nouveau paradigme. Cette imagerie, longtemps interdite et diabolisée, fut longtemps la seule qu’il était possible de modéliser pour exister et se sentir appartenir à quelque chose. Elle est pourtant intégrée dans le quotidien de millions d’individus.
NO·MAN·MEN se construit par étapes, par couches successives, qui s’amusent à invoquer la couleur et le geste autour de la binarité genrée du bleu et du rose. Il s’agit de partager, dans une optique de libération de la parole, ces images « intra-sous-culturelles » qui ont jalonnées l’histoire de l’art et la culture LGBTQIA+, de Michel-Ange à Robert Mapplethorpe, en passant par Francis Bacon, Grindr et Instagram.
Les corps masculinisés à l’extrême dont les formes s’extraient de fantasmes communautaires et personnels, doivent être envisagés comme des corps en mouvement et en lutte. C’est également dans une volonté de partage et d’ouverture du dialogue, que je propose à ce qui est défini comme de la pornographie de devenir un motif. Le corps gay sexualisé devient alors politique. Il s’agit de reconstruire un corps phallique, sans peur, sans honte et sans rapport hiérarchique.
Etre gay n’est plus juste une orientation, c’est une identité en création qui se doit d’interroger la sexualité et les fantasmes. Mes peintures ne sont plus des fantasmes déviants. Elles sont préhistoriques.
Ce sont des actes d’amour, des paysages, comme des échos à la poésie pédée de Jean Genet : « Mordille tendrement le paf qui bat ta joue, / Baise sa tête enflée, enfonce dans ton cou / Le paquet de ma bite avalé d’un seul coup. / Étrangle-toi d’amour, dégorge, et fais ta moue ! ».